jeudi 7 octobre 2010

JR : "Women are heroes"

Rencontre avec le photographe JR
J'ai réalisé cette interview pour L'Intérêt, le journal étudiant d'HEC Montreal, Volume 54, Numéro 05

JR. Derrière ces initiales se cache un photographe. Son idée géniale a été de se situer entre le graffiti et la photographie en collant des portraits en format géant dans la rue. Il est en ce moment lui même à l'affiche avec son premier film, Women Are Heroes, en salles à Paris depuis le 19 Janvier 2011.

Le musée de JR est à ciel ouvert et ses photos envahissent les plus grandes capitales. Pour son dernier projet, JR nous fait voyager en Afrique, en Inde, en Asie, au Brésil, à la rencontre des femmes, « les piliers de ces sociétés ». Ce sont dans les rues des bidonvilles de Kibera au Kenya ou de la favela Morro de Probidência à Rio tristement célèbre pour ses déchainements de violence que JR colle chacun de ses portraits de femmes avec toujours la même obsession « de porter un autre regard sur ce que l’on ne connait qu’à travers les médias » C’est beau, amusant, parfois émouvant et poétique, mais c’est surtout audacieux et complètement fou!

Après les émeutes des banlieues parisiennes en 2005, ses photos de Portrait d’une Génération feront la Une du New York Times et par la suite Libération consacrera toute une parution au projet Face2Face dans lequel JR colle des visages d’Israéliens et de Palestiniens hilares, faces à faces, de part et d’autre du mur de séparation. Certains y verront un travail idéaliste ou naïf tandis que lui assume un art qu’il veut « engageant mais pas engagé (…) sans prétendre apporter des réponses » On retrouve aujourd’hui cet artiste dans les plus grands quotidiens internationaux mais JR veut rester discret. Si son visage reste caché sous un chapeau et de grosses lunettes, c’est que ses collages ne sont pas toujours légaux et s’exposer publiquement nuirait à son travail. Comme il me le fait remarquer lorsque je lui propose une photo pour illustrer cette entrevue, l’objet de son projet ce n’est pas l’artiste mais bien son œuvre d’art. C’est à 8h30 du matin, sur le lieu de sa dernière exposition, île Saint Louis à Paris, que JR me donne rendez-vous pour me parler de son projet. Il pleut à torrent sur les quais de Seine, mais lui est bien là, dans « [sa] plus grande galerie du monde »

Rencontre avec JR, un artiste de 26 ans, pour qui rien ne semble être impossible.


Salut JR, d’abord, pourquoi la photo et pourquoi les exposer en pleine rue?

La photo est un art universel, facile à décrypter, que tout le monde peut facilement comprendre, d’où cette envie de la faire voyager et de l’exposer dans des pays où le grand public n’y a pas facilement accès. Le meilleur moyen de chercher ce grand public est d’utiliser tout simplement les murs de leur ville comme galerie!
Mes photos prennent véritablement sens en fonction des endroits ou je les colle. Utiliser la rue comme galerie c’est toucher un maximum de personnes. La rue devient la plus grande galerie du monde, et la moins contraignante pour l’artiste. La rue me laisse toute mon indépendance. Une fois que tu touches à la rue et que tu utilises des murs de 150m de long qui te permettent de donner une toute autre dimension à l’image… tu n’as plus du tout envie d’aller te confiner dans une salle d’exposition de 50m2!

Les photos sont-elles donc indissociables de la rue?

Oui, les photos ne sont qu’une étape du processus comme prendre l’avion pour se rendre au Brésil, mais l’œuvre est dans l’action, c’est le fait de coller ces photos.

Women are Heroes, de quoi s’agit-il ?

C’est un projet que l’on a commencé il y a deux ans et qui est dans la continuité des deux projets précédents (« Face2Face » et « Portrait d’une génération ») C’est l’envie de porter un autre regard sur des sociétés que l’on ne connait qu’à travers les médias. Mais cette fois mon regard s’est porté sur les femmes. Parce que qui tient le haut du pavé dans ces sociétés là? Ce sont bien évidement les hommes, mais ce sont pourtant les femmes qui sont les piliers de ces sociétés. Alors quand tu colles des photos de femmes en format géant partout dans la rue, tu confrontes le regard des hommes à l’image des femmes. Sur le terrain tu peux alors observer toutes sortes de réactions qui te permettent d’en connaitre un peu plus sur la place des femmes et aussi de l’art dans ces sociétés. Women are Heroes c’est donc aussi un projet de décryptage de ces sociétés à un niveau social, culturel et politique.

Oui, d’ailleurs j’ai entendu dire que tu aimais te définir comme un « aRtiviste »

(Rires) Oui, c’est une contraction entre « artiste » et « activiste » mais c’est aussi une manière de dire que je ne suis justement pas un activiste. Je fais de l’art engageant, mais pas engagé parce que le rôle d’un artiste est de soulever des questions sans prétendre apporter des réponses.

As-tu choisis ces femmes pour leur beauté, leur souffrance, leur joie de vivre? Pourquoi ces femmes?

Je les ai d’abord choisies en fonction de l’endroit où elles habitent. Des endroits que j’ai découverts d’abord au travers des médias, et au travers de situations de crise. Je voulais donc montrer une autre image de ces endroits.

Ces femmes nous offrent différents visages : Certaines rigolent ou font des grimaces, d’autres paraissent au contraire tristes. Et, dis moi si je me trompe, leur posture peut se regrouper selon les différents pays. Par exemple au Brésil elles nous montrent souvent un visage plus triste ou du moins plus grave. Pourquoi ces visages?

En effet au Brésil, dans la favela dans laquelle je me trouvais, il y avait eu un drame quelques jours auparavant : Trois jeunes avaient été tués par l’armée alors qu’ils n’étaient pas impliqués dans le trafic qu’on leur reprochait. Le visage de ces femmes racontent vraiment les endroits où elles sont, le contexte dans lequel elles vivent, mais chaque femme décide quel visage elle veut offrir à l’objectif, quelle image elle veut donner d’elle-même. Et je ne pense pas qu’il faille y voir des grimaces, des sourires ou des larmes mais des expressions de vie qui donnent une autre image que ce que les medias nous montrent tous les jours.

Elles sont aujourd’hui placardées sur les quais de Seine en plein cœur de Paris et ont été exposées dans les rues de New York, Londres et Bruxelles. Ces femmes ont-elles conscience que ce sont des stars maintenant dans plusieurs villes occidentales ? As-tu gardé contact avec les « héroïnes » de ton projet?

Bien sûr! Il y a même une des femmes photographiées au Brésil qui est venue à Paris, et qui nous a proposé de faire la cuisine le jour du vernissage ! Avant le collage de Paris, il y a d’abord eu un collage dans leurs bidonvilles puis ailleurs dans leur pays. Elles ont tout à fait conscience que leur histoire voyage et elles suivent ça de près!

Et qu’en disent-elles ?

Certaines ont accepté de participer au projet pour que leur histoire voyage, ou pour être connues, d’autres pour donner une autre image d’elles mêmes, et donc chacune y voit son propre message et se réapproprie le projet à sa manière en fonction de son histoire personnelle.

Dans le livre du projet, il y a une vue de satellite ou l’on aperçoit en tout petit sur les toits des maisons de Kigali, des yeux de femmes.

Oui j’ai contacté une ONG qui a l’habitude de préparer le terrain de leur mission en photographiant certain espace par satellite, et je leur ai demandé de me prendre un cliché. L’idée était en fait de pouvoir faire apparaitre les photos sur Google Earth. T’imagines alors la réaction de l’internaute qui voyage et regarde de haut cette petite ville mais qui se retrouve alors lui-même observé!

Tu es un artiste mais aussi un véritable entrepreneur, que faut-il pour entreprendre des projets aussi fous que les tiens?

Nos projets, une fois l’idée lancée, ce n’est que de la logistique, de la production et une très grosse organisation. Chaque dollar compte, beaucoup de monde autour de moi vient m’aider bénévolement et toute cette aide et cette utilisation scrupuleuse de notre budget est essentielle pour garder notre indépendance. La liberté dans l’art et dans nos projets est d’abord en grande partie due à notre indépendance financière. On s’est toujours autofinancé, on n’a pas de logo, pas de sponsors, c’est une réelle ligne de conduite à garder tout au long de notre projet. Monter ce genre de projet, c’est comme gérer une entreprise. Cette entreprise ne tourne pas autour d’une recherche de profit mais plutôt autour de la diffusion d’un message qui ne sera correctement transmis que dans l’indépendance la plus totale. On a appris à gérer tout ca avec le temps.

www.JR-art.net
Women are heroes, livre photo de JR. Ed. Alternatives



TRAILER " WOMEN ARE HEROES"
envoyé par JR. - Futurs lauréats du Sundance.


JR / Exposition Paris 2009 - Ile Saint Louis
envoyé par Mairie4e. - Films courts et animations.

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