mardi 8 février 2011

Les Rois de la SAPE

La Société des Ambianceurs et Personnes Élégantes. C’est sous ce sigle que se reconnaissent les sapeurs qui arpentent les rues de Château Rouge à Paris ou que l’on retrouve ici-même à Montréal. Tête haute, démarche soignée, la sape est avant tout une affaire d’allure. Chaussures Weston, cravate colorée, chemise éclatée, lunettes foncées, marques de qualitées... la classe africaine ne va pas sans la sape! Les « ambianceurs » ou encore les « sapeurs » sont partout et ils ne se font pas discrets. Tout le monde peut être un sapeur à la seule condition d’être un homme. On dira des femmes qu’elles sont simplement bien sapées…


Dans la filiation directe du dandysme britannique de la fin du 18e siècle, la sapelogie est une doctrine de l’élégance, de la finesse et de l’originalité revisitée à l’africaine. Moins bling-bling que le récent « coupé-décalé » ivoirien, ce phénomène de mode est né après l’indépendance dans l’avenue Matsoua du quartier de Bakongo (dit « le couloir de la mode ») à Brazzaville au Congo. C’est dans se quartier que les jeunes viennent se montrer, et confronter leur capacité à marier les couleurs et l’élégance. Là-bas, ce sont les sapeurs qui foutent le feu !! (et voila, le jeu de mots que vous attendiez…)



Ce phénomène prend son essor après l’indépendance. Il s’agissait peut-être d’un phénomène de rejet du mot d’ordre du général zaïrois Mobutu qui, dans une recherche d’authenticité et d’identité africaine, prônait l’ « abacos », abréviation de « à bas les costumes ». À l’origine, les sapeurs étaient aussi des employés congolais qui travaillaient pour de riches familles aristocratiques dans les beaux quartiers parisiens et qui revenaient au pays pour « saper » le moral de leurs amis avec de beaux habits repris ou empruntés à leurs patrons. Parmi eux, Christian Loubaki dit « enfant Mystère » qui va fonder le mouvement avec sa boutique « La Saperie de Bacongo » Mais il y a aussi Feu Mamadou. Le premier est plus conservateur dans le « vêtir à l’occidentale » tandis que le second est plus dans l’exhibition et dans le paraître. De Kinshasa à Brazzaville, la sapelogie s’étend à la Cote d’Ivoire et remonte jusqu’à Paris, pour faire débat, à savoir qui s’habille le mieux ! Pour Papa Wemba « l’examen se fait à Paris, mais la proclamation se fait au pays » Les sapeurs aiment discuter sapelogie et la rivalité entre Kinshasa et Brazzaville n’est pas à prendre à la légère. On les appelle les « sapelogues » La dernière icône en date, Djo Balard. Superficielle, frivole ou snob, les sapeurs n’y voient pourtant pas qu’une simple manière de s’habiller. C’est aussi un véritable amour du style, presque une religion, une ascèse de vie avec des règles à respecter et une manière de s’exprimer.


« Le Dandy doit aspirer à être sublime sans interruption, il doit vivre et dormir devant un miroir » (Baudelaire, Mon cœur mis à nu)

Pas riche pour autant, les sapeurs se baladent en Weston dans le métro parisien. Ils ont des gros cigares en bouche ou qui dépassent généreusement de la poche mais qui ne seront jamais allumés. Le complet cravate n’empêche pas le sapeur de s’attaquer à une grosse pinte de bière en canette, tandis que les marques de leurs habits sont authentiques : Pierre Cardin, Roberto Cavalli, Dior, Fendi, Gucci, Issey Miyake, Prada, Yves Saint Laurent, Versace, Yohji Yamamoto sont le sacrosaint de la sapelogie. Il faut sans cesse se renseigner sur les dernières tendances, un faux pas fera de vous la risée des sapeurs. Différentes écoles de sapelogie s’affrontent mais ma préférée restera l’école des anglais, ils optent pour la pipe plutôt que le cigare et avec des lunettes rondes sur le nez ils prennent un air faussement pincé. Ça, ce sont des « playboy de qualité, aux couleurs éclatées! »




Les sapeurs influencent aujourd'hui des grandes maisons de couture comme Paul Smith pour leur dernière collection 2010.



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